La reine Victoria a passé son dernier Noël à Osborne en 1900. Cela faisait exactement quarante ans que le prince Albert avait célébré son dernier Noël en 1860 à Windsor, théâtre de tant de joyeuses festivités familiales dans le passé. Le prince Albert n’a pas vécu jusqu’à Noël 1861, mourant le 14 décembre dans la même pièce où, avec une étrange prescience historique, George IV et Guillaume IV étaient également morts, respectivement en 1830 et 1837. En décembre 1862, la reine Victoria écrivait : «Noël, autrefois un moment si cher et heureux, est arrivé si tristement devant moi.
Lorsque la reine Victoria partit en décembre 1900 pour Osborne, la résidence italienne bien-aimée de l’île de Wight où elle déplaça symboliquement les célébrations de Noël après la mort d’Albert à Windsor, ce serait la dernière fois qu’elle ferait le voyage.
La reine traversait également d’une autre manière. Parvenue au XXe siècle en tant qu’octogénaire royale, avec des successeurs vivants sur trois générations, elle avait « accosté » pour ainsi dire en 1900 et était désormais prête à embarquer pour l’éternité. Considérant que la mort de la reine Victoria était autrefois comparée à celle d’un grand paquebot prenant la mer, il est peut-être poignant d’imaginer la reine partant de Windsor en décembre 1900 pour ce que nous savons être la dernière fois, traverser le Solent sur le yacht royal. Alberta. Elle passa à Windsor ce qui allait devenir le dernier anniversaire de la mort du prince consort, ce jour qu’elle qualifiait souvent avec une sorte de crainte loyale de ‘terrible 14ème‘. Elle a visité tranquillement le mausolée royal de Frogmore avec le service commémoratif habituel car pour elle, le ‘terrible 14ème‘ était bien sûr aussi le « sacré » 14ème. Elle se rendit de nouveau à Frogmore le 17 décembre 1900 et, pour la dernière fois de sa vie, visita le mausolée royal et le mausolée de sa mère, la duchesse de Kent. Après la mort de la reine à Osborne le 22 janvier 1901, son corps fut ramené à Windsor où elle retrouva enfin le prince Albert et reposa à ses côtés au mausolée royal de Frogmore. Son effigie, perdue à Windsor mais retrouvée par la suite, la représentait à l’image d’une jeune épouse et reine et avait été réalisée en même temps que celle du prince Albert.
Par une curieuse coïncidence, le grand journal qu’elle tenait depuis 1832 prit fin le 13 janvier 1901. Le fait qu’il s’arrêtât juste avant le 14ème« Il se peut que la reine Victoria ait été morbidement intéressée, compte tenu de son obsession pour les dates et les anniversaires. La reine Victoria quitta Windsor le 18 décembre 1900, après avoir «j’ai passé une très mauvaise nuit et j’ai à peine dormi (cit., Christopher Hibbert, Queen Victoria: A Personal History, 490), malgré le fait qu’elle prenait désormais des breuvages de chloral pour induire le sommeil.
Noël 1832 était le premier que la future reine Victoria enregistrait dans le journal qu’elle avait commencé cette année-là. Passée au palais de Kensington, elle a décrit les tables et les arbres, une coutume allemande de base qui sera recréée plus tard à Windsor, popularisée par le prince Albert mais en fait introduite par sa grand-mère paternelle, la reine Charlotte. En 1832, les arbres de Noël étaient ornés de bougies et de bonbons. La jeune princesse Victoria avait reçu entre autres cadeaux, une magnifique table de toilette recouverte de mousseline blanche et un nouveau miroir. La lecture, à l’autre bout de la vie de la reine, des dernières entrées de Noël des 24 et 25 décembre 1900 dans les exemplaires de la princesse Béatrice, laisse une impression simple et pitoyable. (Les magnifiques journaux hindoustani de la reine durent jusqu’au 1er novembre 1900). C’est comme si la voix forte de la reine invincible vacillait et s’évanouissait soudainement, comme une flamme sur le point de s’éteindre. Aucune autre illustration n’est plus symbolique de la Reine qui a écrit tant de mots, que ces lignes laconiques et épuisantes, alors que sa vie touche lentement à sa fin. A cette époque, ces dernières entrées étaient dictées. Le 13 janvier 1901 est une triste date pour tout historien de la famille de la reine Victoria ; c’est la date à laquelle son journal devient silencieux, la reine mourante perdant à jamais la voix.
La veille de Noël était l’occasion traditionnelle de la coutume allemande connue sous le nom de Description (Giving of Gifts) et le 24 décembre 1900, la reine Victoria adhère à cette pratique si anciennement établie dans sa famille et qui rappelle tant celle de Prince Albert. Ce jour-là, le journal de la reine Victoria rapporte qu’elle est sortie avec ses troisième et cinquième filles, Helena, princesse Christian de Schleswig-Holstein et Béatrice, princesse Henri de Battenberg. Elle prenait son « thé », qui n’était désormais guère plus que de l’arrow-root mélangé à du lait (Delia Millar, Queen Victoria’s life in the Scottish Highlands, 142) parce qu’elle mangeait désormais de manière très irrégulière. À présent, elle vivait régulièrement de la nourriture Bengers, un régime typique des invalides qui illustre bien la faiblesse de celui qui avait eu un amour si royal pour la nourriture. Elle était accompagnée du prince Arthur et de la princesse Louise, duc et duchesse de Connaught et de leurs enfants ainsi que des familles de la princesse Christian et de la princesse Béatrice.
La reine fut affligée de constater qu’elle ne voyait qu’avec difficulté. Vers la fin de sa vie, elle avait du mal à lire les lettres et son écriture était à peine lisible, ayant disparu dans les marges épaisses du papier à lettres de deuil qu’elle utilisait désormais invariablement et plus uniquement pour Albert. C’était presque comme si l’horloge de sa vie avait bouclé la boucle et qu’elle était de retour à Kensington, où elle se souvenait dans ses mémoires de 1872 d’avoir pris son pain et son lait dans une petite bassine en argent. Dès le 11 décembre 1900, on lui recommanda de prendre « un peu de lait et de whisky plusieurs fois par jour » (cit., Ibid, 490). Le jour de sa dernière entrée dans son journal – après toute une vie d’historiographie personnelle – le 13 janvier 1901, elle but un verre de lait.
La salle Durbar à Osborne, appréciée par la reine Victoria comme décor à la fois pour les dîners de cérémonie et les spectacles théâtraux, était l’endroit où le grand sapin de Noël serait installé, avec les tables chargées de cadeaux de fête. Il était situé dans la nouvelle aile Durbar de 1890, resplendissante de sa magnifique décoration indienne en plâtre. Ici, la vieille reine distribuait personnellement ses cadeaux à ses fidèles serviteurs. Deux cadeaux ont fait particulièrement plaisir : un émail du jeune prince Christian Victor de Schleswig-Holstein, petit-fils bien-aimé décédé d’une fièvre entérique à Pretoria la veille de son retour d’Afrique du Sud, où il avait servi dans la Seconde Guerre mondiale. Guerre des Boers. L’autre cadeau était un beau bracelet offert par Helena, princesse Christian, en mémoire de son frère le prince Alfred, duc de Saxe-Cobourg-Gotha, deuxième fils de la reine. Il s’agissait de décès récents et frais dans la mémoire royale, le prince Christian Victor étant décédé en octobre 1900 et le prince Alfred en juillet.
Ceci constituait la cérémonie solennelle Description de 1900, habituellement du vivant de Prince Albert, une soirée de joie partagée et de communion familiale. La reine victoria, cependant, pouvait à peine voir comment distribuer ses cadeaux en écrivant : « Je me sentais très mélancolique, car je vois si mal » (cit., Elizabeth Longford, Queen Victoria, 611). Symboliquement, Noël avec toutes ses bougies n’était plus brillant.
Le jour de Noël 1900 a apporté une nouvelle tristesse avec le décès de la bien-aimée dame de chambre et amie de confiance de la reine, Jane Churchill. Un court service commémoratif a eu lieu pour Jane dans le salon d’Osborne, tandis que la princesse Béatrice jouait de l’harmonium. La reine du deuil réfléchit tristement : «La perte pour moi ne doit pas être racontée… et que cela se produise ici est trop triste. (cit., Ibid, 491). C’était sa bien-aimée Jane qui avait en fait fait remarquer à sa propre femme de chambre que la reine semblait maintenant ‘une femme mourante’ (cit., AN Wilson, Victoria, 567), paroles impensables pour une génération qui n’avait jamais connu sa propre vie, ni pour l’Angleterre – sans Victoria.
Noël 1900 fut le dernier de Victoria.
©Elizabeth Jane Timms, 2019